Comédie dramatique de Honoré de Balzac, mise en scène de Emmanuel Demarcy-Mota, avec Serge Maggiani, Valérie Dashwood, Sandra Faure, Jauris Casanova, Philippe Demarle, Sarah Karbasnikoff, Gérald Maillet, Charles-Roger Bour, Walter N’Guyen, Stéphane Krähenbühl, Pascal Vuillemot, Gaëlle Guillou et Céline Carrère.
Quand le commerce n'était pas encore le marché, que la bourse ne connaissait pas les traders, que les prêteurs privés et les usuriers n'avaient pas été éradiqués par les banquiers, l'argent était déjà, et toujours, le nerf de la guerre.
À défaut de capital, donc de fortune personnelle, de réel esprit d'entreprise, par incompétence, mauvaise fortune ou dilettantisme, et surtout par refus de s'astreindre à occuper un emploi rémunéré, il fallait emprunter pour vivre de ses rentes sans rentes.
Tel est le cas de Mercadet, personnage-titre d'une comédie intitulée "Mercadet le faiseur" signée Honoré de Balzac, dont l'oeuvre théâtrale reste marginale au regard de la Comédie humaine, qui, sous la réputation d'hommes d'affaires, vit confortablement d'expédients en pratiquant un affairisme éhonté depuis belle lurette jusqu'au jour où, surendetté, il est acculé par ses créanciers à la faillite, pis à l'infamante banqueroute qui constitue un délit pénal passible d'emprisonnement.
Pour y remédier, il conclut le mariage de sa fille avec un beau parti riche à millions qui, en réalité, se trouve être, à son image, un escroc doublé d'un fieffé menteur. Arroseur arrosé, il doit plonger à dans le cercle infernal, et non vertueux, du mensonge dont le plus spécieux est celui de l'hypothétique retour d'un associé fantôme qui serait multimillionnaire nommé... Godeau.
A partir de cette intrigue initiale de comédie domestique, Balzac a élaboré une comédie satirique percutante truffée de savoureux aphorismes sur la dette, revêtant une édifiante résonance contemporaine, qui brosse un portrait au vitriol du capitalisme financier.
Et il y traite de front la dialectique du débiteur et du créancier qui régit tous les rapports humains et du mensonge érigé dans une société dépourvue de transcendance en principe social, qui constitue le ressort actantiel de la partition, à travers une extraordinaire galerie de personnages qui offrent une belle palette de jeu aux comédiens.
Une pépite théâtrale dans laquelle Balzac se paie le luxe d'un habile faux coup de théâtre à renversement, qui n'a pas échappé à Emmanuel Demarcy-Mota qui monte donc "Le Faiseur" pour la Troupe du Théâtre de la Ville, dont il assure la direction. Optant pour le registre du vaudeville hybridé avec l'opéra-bouffe, il un divertissement intelligent et roboratif totalement réussi.
Sur scène, dans une étonnante scénographie de Yves Collet qui s'est inspiré de l'attraction foraine des montagnes russes, qui sied à la métaphore de la fluctuation des cours boursiers comme aux revers de fortune, par ailleurs cohérente avec la dramaturgie interne de la pièce, pour concevoir un dispositif de trois plateaux articulés juxtaposés, treize comédiens se déplacent de manière aussi funambulesque que chorégraphique dans une surprenante fluidité compte tenu de certaines raideurs de la pente.
Et ils chantent le tube inoxydable, et de circonstance, "Money, Money, Money" du groupe Abba lors des intermèdes qui scandent la partition animée par des trios choraux : ceux des créanciers trop gourmands pris à leur propre piège, Sarah Karbasnikoff, Charles-Roger Bour et Walter N'Guyen, et celui des domestiques, Gaëlle Guillou, Céline Carrère et Pascal Vuillemot, créanciers de leurs maîtres et qui ne veulent pas partir en abandonnant l'arriéré de gages préférant devenir prêteurs de leurs petites économies pour que la machine continue à fonctionner en misant sur un possible rétablissement.
Et puis il y a les figures libres avec le propriétaire (Stéphane Krähenbühl), l'ami (Gérald Maillet), le prétendant (Philippe Demarle) qui tourne autour du foyer Mercadet. Celui-comporte deux couples. Le couple des amoureux contrariés (Sandra Faure désopilante et Jauris Casanova parfait en amoureux maladroit) et Monsieur et Madame Mercadet.
Valérie Dashwood est une élégante et virevoltante épouse et dans le rôle-titre, après avoir récemment incarné le dernier des frères Lehman dans "Chapitres de la chute", Serge Maggiani rempile dans la "course à l'échalote" pour camper de manière magistrale un faiseur cynique et matois, sans scrupule ni état d'âme, maître es-mensonges qui louvoie habilement dans ce beau panier de crabes en jouant de toutes les ficelles, du bluff à la spéculation en passant par la victimisation.
Emmanuel Demarcy-Mota dirige allègrement ce petit monde "en équilibre instable" qui fait trois petits tours et puis s'en va après avoir entrainé le public dans une folle comédie humaine. |